La légende de la Femme de la Forêt, présente uniquement dans la région du Maramures, est très vivace et occupe une place prépondérante dans la vie, les mœurs et dans la littérature de cette région montagneuse du nord-ouest de la Roumanie. Dès mon premier séjour dans le "judet" du Maramures, attirée par les récits de mon guide, Vasile Bud (professeur de Biologie à Oncesti) j'ai de suite été passionnée par cette créature " la Fata Paduri" qu'on dit avoir été engendrée par une sorcière et dont le père serait "l'Homme de la nuit".
De retour en France, mes recherches m'ont amenée à découvrir les écrits de Jean Cuisenier, ethnologue, héritier de Lévi-Strauss, directeur du Musée des Arts et Traditions Populaires de Paris. Dans son livre "Mémoires des Carpathes, La Roumanie millénaire "Ed Plon, Paris 1998, il nous fait partager plus de trente années de ses réflexions sur la vie quotidienne des Roumains du nord de la Transylvanie, de 1970 à 2000. Le livre "Contes et tradition orale en Roumanie de l'éthologue Franck Alvares Pereyre de 1976 nous apporte également de précieux récits.
"Parlez moi de la Femme de de la Forêt " spontanément chaque villageois enregistrés à l'aide de mon enregistreur de téléphone se mettaient à me raconter à sa manière.
Stetiu Petru, instituteur et professeur de violon du village de Serbi, me dit avoir préparé son examen en utilisant la Légende de la Femme de la Forêt. Il me fait part de l'existence d'une magie qui empêche les vaches de donner du lait et d'une contre-magie pour permettre de les traire à nouveau.
Vasile Bud, lui me dit que les garçons du village d'Oncesti qui retrouvent leurs promises pour des rendez-vous galants, le soir, après leur travail aux champs, redoutent toujours de rencontrer la Femme de la Forêt. Celle-ci les attire par des chants; ils la suivent hypnotisés et leur arrive parfois des calamités.
L’arrivée de l’électricité dans les Maramures (vers 1970) aurait mis fin à ces manifestations, croit-il !
Maria, la femme du chef de la “fête des moutons” de Vadu Izei, me raconte qu’ alors qu’elle était âgée de 12 ou 13 ans, son grand-père berger a rencontré la Femme de la Forêt. Celle-ci est entrée chez eux, un mardi soir, pour manger toute la nourriture présente. Maria a eu très peur. Cette mésaventure s’est répétée plusieurs fois dit-elle. Elle ajoute que la Femme de la Forêt lui est apparue vêtue de peaux de bêtes, qu’elle vit la nuit et se montre aux êtres humains dans les champs environnants et même dans les habitations.
La légende de la Femme de la Foret et ses différentes versions malgré son côté cruel, injuste, parfois illogique et surprenant, vise avant tout la protection et le respect de la nature.
La vie moderne, les progrès de la civilisation, la raréfaction de ceux qui peuvent encore raconter sont les ennemis des légendes qui tendent, à disparaitre. Pourtant, les êtres humains ont besoin de donner un sens à leur vie. Ils ont aussi besoin de modèles de comportements conforme à la morale.
Le message que les contes nous transmettent est que "la lutte contre les graves difficultés de la vie est inévitable et qu'il faut, au lieu de s'y dérober, affronter fermement les épreuves inattendues de la vie". Bruno Bettelheim qui écrit cela dans son livre "Psychanalyse des contes de fées" en est intimement persuadé. Aristote et Platon nous le disent depuis l'aube des temps.